· 

Pour un antiracisme décomplexé

 

Le champ antiraciste a coutume de proclamer, ces dernières années, que le racisme et ses expressions deviennent décomplexés. Plusieurs faits tendent à confirmer cette affirmation. Néanmoins, je pense que le milieu antiraciste a tendance, dans le sens inverse, à être de plus en plus complexé. Complexé pour une raison principale à mon sens: l’antiracisme me semble de plus en plus incapable de peser et de décider des termes du débat de manière affranchie du tempo et de l’agenda imposés par le champ raciste, populiste et d’extrême droite. L’antiracisme est comme acculé à être systématiquement occupé à réagir, commenter et protester contre les évolutions et manifestations du racisme. Plus dans la réactivité, il me semble souffrir d'une longueur de retard par rapport au racisme qui, malgré sa condamnation morale assez partagée sur le principe, se manifeste de façon de plus en plus subtile et concrète au quotidien.

 

Bref, si l’antiracisme souffre d’un complexe, c’est celui de son incapacité à définir et à imposer les termes du débat au champ raciste qui, de son côté, est emporté par sa capacité à s'adapter, évoluer, se métamorphoser dans ses expressions et ses manifestations.

 

Comme manifestation de ce complexe, je note deux tendances dans le champ antiraciste : une que je qualifierais d’extensive qui a tendance à taxer de raciste, trop rapidement à mon sens, certains actes et expressions. Les termes discrimination, xénophobie, amalgame, stigmatisation, stéréotypes etc sont apparemment jugés insuffisamment forts pour décrire ces expressions contrairement au terme racisme (et ses déclinaisons) qui est alors utilisé comme épouvantail et comme outil de disqualification de l’adversaire (qui généralement fait la même chose, en sens inverse, en usant des qualificatifs islamiste, islamogauchiste, etc) ou de son opinion. Une autre tendance, lassée d’une telle inflation, et de l’éclatement des formes de désignation des racismes spécifiques (antisémitisme, islamophobie, négrophobie, romophobie, etc), en vient à discuter de la pertinence même de ces qualificatifs et à appeler à en revenir au terme discrimination anti- (comme si les paroles et actes de haine constituaient une discrimination en soi). Je ne m’inscris dans aucune des deux tendances. Autant je pense qu’il faut cesser les usages extensifs et inflationnistes, préjudiciables à la cause qu’on pense défendre (car propices à l’amalgame, à la disqualification arbitraire, empêchent le débat d’idées contradictoires, et donnent du foin à ceux qu’on vise à combattre), autant je pense qu’il faut reconnaître les formes spécifiques de racisme et œuvrer pour une convergence des luttes. Mais avec une condition : un usage le plus restrictif et le plus rigoureux possible de ces termes.

 

Le racisme est grave. Le racisme est une abomination. Le racisme tue. On ne peut se permettre de le prendre à la légère, ni dans la façon de le définir, ni dans la façon de le combattre.